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XVe NOUVELLE

tion du Marchant & se tint content d’avoir eu les quinze cens escuz & un diamant, & demeurer asseuré de la bonne grace de s’amie, combien que depuis, tant que le mary vesquit, il n’eut moyen de parler à elle que par escripture.

Et, après la mort du mary, pource qu’il pensoit la trouver telle qu’elle luy avoit promis, meist toute sa diligence de la pourchasser en mariage ; mais il trouva que sa longue absence luy avoit acquis ung compaignon mieulx aimé que luy, dont il eut si grand regret que, en fuyant les compaignies des Dames, chercha les lieux hazardeux, où, avecq autant d’estime que jeune homme pourroit avoir, fina ses jours.


« Voilà, mes dames, que, sans espargner nostre sexe, je veux monstrer aux mariz que souvent les femmes de grand cueur sont plustost vaincues de l’ire de la vengeance que de la doulceur de l’amour, à quoy ceste cy sçeut long temps resister, mais à la fin fut vaincue du desespoir, ce que ne doibt estre nulle femme de bien, pource que, en quelque sorte que ce soit, ne sçauroit trouver excuse à mal faire. Car, de tant plus les occasions en sont données grandes, de tant plus se doibvent monstrer vertueuses à résister & vaincre le mal en bien, & non pas rendre mal pour mal, d’autant que souvent le mal que l’on cuide rendre à aultry retombe sur soy. Bien heureuses celles en qui la vertu de Dieu se monstre en chasteté, douceur, patience & longanimité ! »