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Ve JOURNÉE

chacun, &, combien qu’elle ne fût des plus belles, si avoyt elle une grace avecq une audace tant bonne qu’il n’estoyt possible de plus, la parolle & la gravité de mesme, de sorte qu’il n’y avoyt nul qui n’eût craincte à l’aborder, sinon le Roy, qui l’ayma très fort &, pour parler à elle plus privéement, donna quelque commission au Conte son mary, en laquelle il demeura longuement, & durant ce temps le Roy feit grand chère avecq sa femme.

Plusieurs Gentilz hommes du Roy, qui congnurent que leur Maistre en estoit bien traicté, prindrent hardiesse de parler à elle, & entre autres ung nommé Astillon, qui estoit fort audatieux & homme de bonne grâce.

Au commencement elle luy tint une si grande gravité, le menassant de le dire au Roy son Maistre, qu’il en cuyda avoir paour. Mais luy, qui n’avoyt poinct accoustumé de craindre les menasses d’un bien hardy Capitaine, s’asseura des siennes, & il la poursuivyt de si près qu’elle luy accorda de parler à luy seule, luy enseignant la manière comme il devoyt venir en sa chambre, à quoy il ne faillyt, &, afin que le Roy n’en eût nul soupson, luy demanda congé d’aller en quelque voiage & s’en partit de la Court ; mais la première journée laissa tout son train & s’en revint de nuict recepvoir les promesses que la Contesse luy avoyt