Aller au contenu

Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
70
Ve JOURNÉE

des exemptz de la Conté, lequel avoyt espousé une belle & honneste femme, dont le Cordelier fut tant amoureux qu’il en moroit, mais il n’avoyt la hardiesse de luy dire, dont elle qui s’en apperçeut se mocquoit très fort.

Après qu’il eut faict plusieurs contenances de sa folle intention, l’advisa ung jour qu’elle montoit en son grenier toute seulle &, cuydant la surprendre, monta après elle ; mais, quant elle ouyt le bruict, elle se retourna & demanda où il alloyt : « Je m’en vois », dist-il, « après vous pour vous dire quelque chose de secret. — N’y venez poinct, beau Père, » dist la Jugesse, « car je ne veulx poinct parler à telles gens que vous en secret, &, si vous montez plus avant en ce degré, vous vous en repentirez. » Luy, qui la voyoit seulle, ne tint compte de ses parolles, mais se haste de monter. Elle, qui estoit de bon esperit, le voyant au hault du degré, luy donna ung coup de pied par le ventre &, en luy disant : « Devallez, devallez, Monsieur », le gecta du hault en bas, dont le pauvre beau Père fut si honteulx qu’il oblia le mal qu’il s’estoyt faict à cheoir, & s’enfouyt le plus tost qu’il peut hors de la ville, car il pensoyt bien qu’elle ne le céleroyt pas à son mary, ce qu’elle ne feit, ne au Conte ne à la Contesse, par quoy le Cordelier ne se osa plus trouver devant eulx.