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XLVJe NOUVELLE

Et, pour parfaire sa malice, s’en alla chez une Damoiselle qui aymoit les Cordeliers sur toutes gens, &, après avoir presché ung sermon ou deux devant elle, advisa sa fille qui estoit fort belle &, pour ce qu’elle ne se levoyt poinct au matin pour venir au sermon, la tansoyt souvent devant sa mère, qui lui disoit : « Mon Père, pleust à Dieu qu’elle eust ung peu tasté des disciplines que entre vous Religieux prenez ! » Le beau Père luy jura que si elle estoyt plus si paresseuse, qu’il luy en bailleroyt, dont la mère le pria bien fort.

Au bout d’un jour ou deux, le beau Père entra dans la chambre de la Damoiselle &, ne voiant poinct sa fille, luy demanda où elle estoyt. La Damoiselle luy dist : « Elle vous crainct si peu qu’elle est encores au lict. — Sans faulte, » dist le Cordelier, c’est une très mauvaise coustume à jeunes filles d’estre paresseuses. Peu de gens font compte du péché de paresse, mais, quant à moy, je l’estime ung des plus dangereux qui soyt, tant pour le corps que pour l’ame, par quoy vous l’en debvez bien chastier &, si vous m’en donnez la charge, je la garderois bien d’estre au lict à l’heure qu’il fault prier Dieu. »

La pauvre Damoiselle, croyant qu’il fust homme de bien, le pria de la vouloir corriger, ce qu’il feit incontinant, &, en montant en hault par ung petit degré de bois, trouva la fille toute seulle dedans le