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DE MARGUERITE DE NAVARRE

pleine d’amour ; Christilla, dont le nom est un diminutif féminin de celui de Christus, & Dorothée, celle qui a le don de Dieu, — les noëls & les simplicités rustiques des Bergers & des Bergères valent mieux que le discours de Satan & que celui de Dieu, qui se donne la peine de répondre lui-même à l’éternel ennemi.

L’Adoration des Mages, où les Anges & Dieu lui-même, que Marguerite fait vraiment parler trop facilement, sont accompagnés par elle de Philosophie, de Tribulation, d’Inspiration & d’Intelligence, n’est pas la meilleure des quatre. Par contre, il y a vraiment une très belle idée dans celle des Innocents. Les plaintes de Rachel, qui ne veut pas être consolée, sortent forcément du sujet ; mais il y a une véritable invention, la mort du petit enfant d’Hérode tué avec les autres, le désespoir du père au milieu de ses fureurs & les malédictions de la nourrice. Quelle belle scène pourrait sortir de cette donnée, si humaine & si théâtrale ! Marguerite n’a fait que l’esquisser, mais la concevoir & la sentir montre déjà toute la valeur de l’esprit qui a tiré de lui-même & qui a compris ce poignant contraste, si profondément dramatique. Si Corneille avait écrit une tragédie d’Hérode, ce coup & cette surprise, aussi inattendue que naturelle, eussent été dignes de son génie.

Dans la Comédie du Désert, Contemplation, Mémoire & Consolation nous font rentrer dans la convention nuageuse de l’allégorie mystique ; mais, à propos de ces pièces, il faut remarquer à quel degré elles se séparent des Mystères, surtout par la forme. Le lyrisme y domine plus que le dialogue, & il serait long de relever toutes les formes de strophes & de mètres qui s’y succèdent. Il est vrai que les couplets ne se dégagent pas à l’œil dans l’édition originale, qui, selon l’usage du XVIe siècle, les serre les uns contre les autres, alors qu’il serait bon de les espacer & de les distinguer typographiquement. Non seulement le style, mais même les idées y gagneraient, car elles s’y allégiraient & reprendraient ainsi, pour les oreilles comme pour les yeux, leur variété & leur