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ET DES MARIÉES

La Première Femme.

Filles, Celluy vous voye,
Qui peult donner tout bien d’un seul regard !

La Première Fille.

Dames, aussi Celluy mesmes vous gard !
En vous pensons régner mérencolye.

La Seconde Femme.

Et nous voullons sçavoir si de folie
Ou de vertus vous parlez en riant.

La Seconde Fille.

Mais vous[1] voyans ainsi pleurant, criant,
Vouldrions sçavoir si plus grand nostre riz
Est que l’ennuy qui fait vos cueurs marryz.

La Vieille.

Le Temps, qui fait & deffaict son chef d’euvre,
Ma, cent ans a, à son escolle prise ;
Son grand trésor, qu’à peu de gens descoeuvre,
M’a descouvert, dont je suis bien apprise.
Vingt ans aymay liberté, que l’on prise,
Sans point vouloir de serviteur avoir.
Vingt ans après, d’aymer feiz mon devoir ;
Mais ung tout seul, pour qui seul j’estois une,
Me fut osté, malgré tout mon vouloir,
Dont soixante ans j’ay pleuré ma fortune.

  1. Le ms. & l’édition donnent nous, alors que ce sont les femmes qui sont tristes & les filles qui sont gaies. — M.