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LA COCHE.


Mort pourra bien des corps faire depart,
Mais nul malheur n’aura jamais puissance
De mettre un cœur des deux autres à part.
Or eusmes nous toutes trois jouissance
Du plus grand bien qui peult d’Amour venir,
Sans faire en rien à nostre honneur offense.
Helas! que dur m’en est le souvenir,
En me voyant advenir le contraire
Du bien tresseur que je pensois tenir !
O feint Amour, pour noz trois cœurs attraire,
Tu leur donnas la fin de leur desir,
Que tu leur viens hors de saison soustraire.
Trois serviteurs, telz que l’on doit choisir,
Eusmes par toy : dont la perfection
Un Paradis nous estoit le plaisir,
Beauté, bonté, tresforte affection,
Tresferme amour, bon sens, bonne parole,
C’estoit le pis de leur condition.
Leur amitié n’ estoit legere ou fole ;
Leur grace estoit sage, douce, asseurée,
Et de vertu povoient tenir escole.
Par leur Amour grande et desmesurée
Noz cœurs aux leurs rendirent si unis,
Que la douleur nous en est demourée :
Car d’un tel heur furent si bien garnis,
Qu’ilz n’eussent sceu jamais souhaiter mieux.
Las, ilz en sont maintenant bien punis,