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Page:Marie-Victorin - Croquis laurentiens, 1920.djvu/248

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CROQUIS LAURENTIENS

leur avoir fait subir un savant camouflage, abattu les mâts, et garni le pont d’épinettes et de vernes.

Entre la Baie du Cap-de-l’Est et la Pointe-aux-Morses, l’Île est étranglée, et un sentier battu par la contrebande de deux siècles mène de l’une à l’autre. Les chasseurs armés de piques coupaient donc au plus court, et surprenaient, au repos sur l’échouerie, les puissants amphibies qu’ils chassaient devant eux par le chemin qui les avait amenés eux-mêmes, jusqu’au lieu du carnage — le bord d’un étang saumâtre aux trois quarts entouré de rochers boisés.

— Grattez la terre, là-bas, nous dit Chevari, et vous sauverez des dents de vaches marines tant que vous en voudrez !

Le chemin tracé et élargi par les morses allant à la boucherie se voit encore distinctement, de même que l’on aperçoit, de la route, le repaire presque fermé des contrebandiers, coin sauvage et romantique, qui fait songer aux créations fantaisistes de cet animalier du roman anglais, le capitaine Mayne-Reid. Après ces hécatombes continuelles, faut-il s’étonner que l’histoire du bison des prairies se soit répétée, et que le morse sans défense ait disparu pour toujours des eaux de la Madeleine et du Golfe Saint-Laurent. Aujourd’hui, les échoueries appartiennent sans conteste aux ébats innocents des petits loups-marins