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les forçats du mariage

ment, de sacrifice. Je voudrais une femme, non-seulement pour l’aimer, mais pour la protéger. Si je m’abandonne devant vous à cette sentimentalité que vous trouvez peut-être ridicule…

— Ridicule, protesta vivement Robert ; vous me voyez, au contraire, tout attendri. Depuis notre voyage en Grèce, j’ai deviné en vous des trésors d’affection et de bonté.

— J’ai souffert, reprit Étienne, beaucoup souffert dans mon enfance d’une situation fausse et pénible. Ma mère, comme la plupart des créoles, était indolente, coquette, emportée et jalouse. Mon père, au contraire, était un homme excellent, affectueux, un peu faible peut-être. Sa vie fut un enfer, tant que ma mère vécut. J’aimais ma mère, malgré ses défauts, malgré la tyrannie qu’elle exerçait sur moi ; mais j’adorais mon père et je n’osais point le laisser paraître. Or, placé entre eux, au milieu de cette discorde perpétuelle, je pris l’habitude de me replier sur moi-même. De là ma nature en apparence froide et concentrée. Cependant je tiens de ma mère une certaine violence de tempérament que je parviens à dominer, à dissimuler même, et qui m’effraye parfois. Après la mort de ma mère, j’entrai dans la marine ; ainsi, je n’ai pu jouir de l’affection de mon père. Voilà pourquoi je souhaite ces joies d’intérieur que je n’ai jamais connues. Je vous l’avouerai donc, mon cher comte, au risque de vous faire sourire, quand je pense à ce bonheur :