Page:Marin - Vies choisies des Pères des déserts d'Orient, 1861.djvu/164

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je possède des campagnes et des meubles sous prétexte de pourvoir aux besoins du monastère. » Ils comprirent par là qu’il méditait sa retraite, et ils le gardèrent avec plus de soin, surtout le moine Hésyque, qui lui était attaché avec une tendresse filiale. Il avait alors soixante-trois ans, et il passa deux ans à gémir ainsi et à répandre des larmes. Dans ce temps-là Aristenète, cette dame dont nous avons dit qu’il avait guéri les trois fils, vint le voir sans aucun cortége qui indiquât qu’elle était la femme du préfet du prétoire, et lui dit qu’elle était dans le dessein de pousser son voyage jusqu’à la solitude de saint Antoine pour le voir encore une fois. « Je voudrais bien y aller aussi, lui dit-il les larmes aux yeux ; mais, outre que je suis comme prisonnier dans ce monastère, ce voyage ne me saurait être utile, puisqu’il y a deux jours que le monde est privé d’un tel père. » Il n’avait pu l’apprendre que par révélation, car il fallait bien plus de temps pour en avoir des nouvelles par la voie ordinaire. Aristenète le crut, et quelque temps après elle apprit d’ailleurs que saint Antoine était mort, comme il le lui avait dit.

Quoique ses disciples le gardassent à vue, dans la crainte qu’il ne leur échappât, il persista toujours dans le dessein de le faire, et enfin il l’exécuta.

Il déclara qu’il voulait partir, et donna ordre qu’on lui amenât un âne ; car ses jeûnes et ses autres austérités l’avaient mis hors d’état de faire le voyage à pied. À peine le bruit s’en fut répandu, qu’il s’assembla de toutes parts plus de dix mille personnes, chacun s’efforçant de l’empêcher, comme si son éloignement eût dû causer la ruine de la Palestine. Mais sans se laisser ébranler par leurs sollicitations, il remuait le sable de son bâton et disait : « Mon Dieu n’est point trompeur ; je ne puis voir les églises renversées, les autels de Jésus-Christ foulés aux pieds, le sang de