Page:Marin - Vies choisies des Pères des déserts d'Orient, 1861.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Je vous dirai sur cela ce que j’ai vu moi-même en Égypte. Il y avait dans un monastère un jeune solitaire, Grec de nation, qui souffrait des tentations fâcheuses, et dont les jeûnes les plus rigoureux et les travaux les plus pénibles n’étaient pas capables de modérer la violence. Son supérieur, craignant qu’il ne succombât, s’avisa de ce moyen pour l’en délivrer. Il ordonna à un des anciens de le maltraiter sans cesse, et, après lui avoir dit bien des injures, d’être le premier encore à se plaindre de lui. Alors on faisait venir des témoins qui déposaient toujours en faveur de l’ancien, de sorte que ce pauvre frère pleurait beaucoup de ces calomnies, et de ce qu’il n’y avait personne qui rendit témoignage à la vérité. Il n’y avait que le supérieur qui prît adroitement ses intérêts, de peur qu’il ne se laissât accabler par un excès de tristesse. Cette persécution apparente dura bien un an. Ensuite on lui demanda s’il était toujours tourmenté de ces mauvaises pensées qui lui causaient auparavant tant de peines. « Hélas ! répondit-il, comment pourrais-je penser au mal, puisque je n’ai pas même le temps de respirer ? » Si ce jeune homme avait été seul, qui est-ce qui lui aurait aidé à vaincre ses tentations ?

« Je ne veux pas vous ennuyer par un plus long détail, continue saint Jérôme ; je prétends seulement vous faire voir par là que vous ne devez point être maître de vos actions, mais vivre dans un monastère sous la conduite d’un supérieur et en la compagnie de plusieurs, afin que vous puissiez apprendre de l’un à vivre dans l’humilité, de l’autre à pratiquer la patience, de celui-ci à garder le silence, de celui-là à être deux et pacifique. Vous n’aurez pas alors la liberté de faire tout ce qu’il vous plaira, mais vous serez obligé de manger ce que l’on voudra, de n’avoir que ce que vous aurez reçu, de porter les habits que l’on