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Page:Marius Grout - Le vent se lève.djvu/60

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francs par mois pour mes menus plaisirs (je triche un peu : c’est dix francs que je devrais garder) — j’ai pu enfin acheter un disque. Je n’avais que le Ketelbey. Je ne l’aime pas trop. Mais il fallait que, pour Thérèse, de temps à autre, je le fisse tourner. Maintenant, j’ai Prélude et Fugue en sol majeur, de Bach. J’ai acheté cela de confiance, parce que c’est Bach, parce que Le Berre, qui s’y connaît, parle toujours de Bach avec ferveur. J’avouerai que j’ai été déçu : ma pauvre éducation sans doute : c’est à peine si je sais mes notes. Et je crois bien que je chante faux. Je n’y ai pas compris grand’chose. Mais j’essaierai. Il doit falloir, avant de comprendre, apprendre à s’ennuyer beaucoup. À moins d’une grâce.

« — Monsieur Rousseau, on m’a dit que vous écriviez ! — On vous a dit ? — Mais oui, Monsieur, on me l’a dit ? et quelqu’un de bien informé !… » C’est ainsi que parle Madeleine. Avec cette légèreté hardie, en taquinant. Elle n’a pour moi aucun respect. Elle est comme une enfant gâtée. Je me laisse faire. Et je ne pourrais résister. Ah ! sur quels chemins m’emmène-t-elle ? Et pour quoi faire ?

Pourquoi le cacher plus longtemps : je t’aime, Madeleine et comme jamais je n’ai aimé. C’est avec toi qu’il me faut vivre ! Ma force à moi, mes rêves mal délivrés, tout