Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 1.djvu/144

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De n’oublier jamais que ses intentions
Doivent à la rigueur régler leurs actions ;
Et de se regarder comme dépositaires
D’un pouvoir qu’ils n’ont plus dès qu’ils sont téméraires.
Voilà votre devoir, et vous l’observez mal,
Quand vous osez chez vous recevoir Annibal.
Rome, qui tient ici ce sévère langage,
N’a point dessein, Seigneur, de vous faire un outrage ;
Et si les fiers avis offensent votre cœur,
Vous pouvez lui répondre avec plus de hauteur.
Cette Rome s’explique en maîtresse du monde.
Si sur un titre égal votre audace se fonde,
Si vous êtes enfin à l’abri de ses coups,
Vous pouvez lui parler comme elle parle à vous.
Mais s’il est vrai, Seigneur, que vous dépendiez d’elle,
Si, lorsqu’elle voudra, votre trône chancelle,
Et pour dire encor plus, si ce que Rome veut,
Cette Rome absolue en même temps le peut,
Que son droit soit injuste ou qu’il soit équitable,
Qu’importe ? c’est aux dieux que Rome en est comptable.
Le faible, s’il était le juge du plus fort,
Aurait toujours raison, et l’autre toujours tort.
Annibal est chez vous, Rome en est courroucée :
Pouvez-vous là-dessus ignorer sa pensée ?
Est-ce donc imprudence, ou n’avez-vous point su
Ce qu’elle envoya dire aux rois qui l’ont reçu ?

PRUSIAS

Seigneur, de vos discours l’excessive licence
Semble vouloir ici tenter ma patience.
Je sens des mouvements qui vous sont des conseils