Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/160

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lui-même, s’il savait mon amour, n’en serait point si surpris que vous vous le figurez, et n’en estimerait pas moins mon caractère ; il vous dirait que ce sont là de ces mouvements involontaires qui peuvent arriver aux plus honnêtes gens, aux plus raisonnables, aux plus pieux ; il vous dirait que, tout religieux qu’il est, il n’oserait pas jurer de s’en garantit ; qu’il n’y a point de faute aussi pardonnable qu’une sensibilité comme la mienne. Ne vous en faites donc point un monstre, Marianne, ajouta-t-il en pliant imperceptiblement un genou devant moi ; ne m’en croyez pas le cœur moins vrai, moins digne de votre confiance, parce que je l’ai tendre. Ceci ne touche point à la probité, je vous l’ai déjà dit : c’est une faiblesse et non pas un crime, et une faiblesse à laquelle les meilleurs cœurs sont les plus sujets ; votre expérience vous l’apprendra. Ce religieux, dites-vous, a prétendu vous adresser à un homme vertueux ; aussi l’ai-je été jusqu’ici ; aussi le suis-je encore, et si je l’étais moins, je ne vous aimerais peut-être pas. Ce sont vos malheurs et mes vertus naturelles qui ont contribué au penchant que j’ai pour vous ; c’est pour avoir été généreux, pour vous avoir trop plaint que je vous aime, et vous me le reprochez ! vous que d’autres aimeront, qui ne me vaudront pas ! vous qui le voudrez bien sans que votre fortune y gagne ! et vous me rebutez, moi par qui vous allez être quitte de toutes les langueurs, de tous les opprobres qui menacent vos jours ! moi dont la tendresse (et je vous le dis sans en être plus fier) est un présent