Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/165

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avoir mauvaise opinion de cette fille ; c’est une pauvre orpheline que j’ai la bonté de secourir en bon chrétien que je suis ; et si tantôt j’ai fait semblant de ne la pas connaître chez vous, c’est que je ne voulais pas qu’on sût mon action pieuse. Voilà tout ce que je vous demande, monsieur, en vous priant de me pardonner les mots que j’ai dit sans attention, qui vous ont déplu, et que je réparerai par toute la soumission possible. Ainsi, dès que Mme Dutour sera rentrée ; nous n’avons qu’à partir ; aussi bien, quand vous n’iriez pas, je vous avertis que j’irai moi-même.

Allez, petite fille, allez, me répondit-il, en homme sans pudeur, qui ne se souciait plus de mon estime, et qui voulait bien que je le méprisasse autant qu’il méritait ; je ne vous crains point, vous n’êtes pas capable de me nuire : et vous qui me menacez, craignez à votre tour que je ne me fâche, entendez-vous ? Je ne vous en dis pas davantage ; mais on se repent quelquefois d’avoir trop parlé. Adieu, ne comptez plus sur moi, je retire mes charités ; il y a d’autres gens dans la peine qui ont le cœur meilleur que vous, et à qui il est juste de donner la préférence. Il vous restera encore de quoi vous ressouvenir de moi ; vous avez des habits, du linge et de l’argent, que je vous laisse.

Non, lui dis-je, ou plutôt lui criai-je, il ne me restera rien, car je prétends vous rendre tout, et je commence par votre argent, que j’ai heureusement sur moi : le voici, ajoutai-je en le jetant sur une table