Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/228

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ne fut généreuse à cause qu’il était beau de l’être, mais à cause que vous aviez besoin qu’elle le fût ; son but était de vous mettre en repos, afin d’y être aussi sur votre compte.

Lui marquiez-vous beaucoup de reconnaissance, ce qui l’en flattait le plus, c’est que c’était signe que vous étiez content. Quand on remercie tant d’un service, apparemment qu’on se trouve bien de l’avoir reçu, et voilà ce qu’elle aimait à penser de vous : de tout ce que vous lui disiez, il n’y avait que votre joie qui la récompensait.

J’oubliais une chose assez singulière, c’est que, quoiqu’elle ne se vantât jamais des belles actions qu’elle faisait, vous pouviez vous vanter des vôtres avec elle en toute sûreté, et sans craindre qu’elle y prît garde ; le plaisir de vous entendre dire que vous étiez bon, ou que vous l’aviez été, lui fermait les yeux sur votre vanité, ou lui persuadait qu’elle était fort légitime ; aussi contribuait-elle à l’augmenter tant qu’elle pouvait : oui, vous aviez raison de vous estimer, il n’y avait rien de plus juste ; et à peine pouviez-vous vous trouver autant de mérite qu’elle vous en trouvait elle-même.

À l’égard de ceux qui s’estiment à propos de rien, qui sont glorieux de leur rang ou de leurs richesses, gens insupportables et qui fâchent tout le monde, ils ne fâchaient point Mme de Miran : elle ne les aimait pas, voilà tout, ou bien elle avait pour eux une antipathie froide, tranquille et polie.