Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/236

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toute tremblante, et n’osant plus faire de questions.

Oh ! je vous demande, ajouta Mme Dorsin, si une fille de quelque distinction va seule dans les rues, sans laquais, sans quelqu’un avec elle, comme on a trouvé celle-ci, à ce qu’on vous a dit ; et qui plus est, c’est qu’elle se jugea elle-même, et qu’elle vit bien que votre fils ne lui convenait pas, puisqu’elle ne voulut, ni qu’on la ramenât, ni dire qui elle était, ni où elle demeurait. Ainsi, quand on le supposerait si amoureux d’elle, où la retrouvera-t-il ? Il a pris des mesures, dites-vous : ses gens rapportent qu’il fit courir un laquais après le fiacre qui l’emmenait. (Ah ! que le cœur me battit ici !) Mais est-ce qu’on peut suivre un fiacre ? Et d’ailleurs, ce même laquais, que vous avez interrogé, vous a dit qu’il avait eu beau courir après, et qu’il l’avait perdu de vue.

Bon ! tant mieux, pensais-je ici, ce n’est plus moi ; le laquais qui me suivit me vit descendre à ma porte.

Ce garçon vous trompe, continua Mme Dorsin ; il est dans la confidence de son maître, dites-vous.

Ahi ! ahi ! cela se pourrait bien ; c’est moi qui me le disais.

Eh bien ! soit ; je veux qu’il ait vu arrêter le fiacre (c’est la dame qui parle), et que votre fils ait su où demeure la petite fille : qu’en concluez-vous ? qu’il s’est pris de belle passion pour elle, qu’il va lui sacrifier sa fortune et sa naissance, qu’il va oublier ce qu’il est, ce qu’il vous doit, ce qu’il se doit à lui-même, et qu’il ne veut plus ni aimer, ni épouser qu’elle ? En vérité, est-ce là votre fils ? Le reconnaissez-vous à de