Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/258

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fond je ne l’étais pas, je n’avais que l’air de l’être, et, à me bien définir, je n’étais qu’attendrie.

Je soupirais pourtant comme une personne qui aurait eu du chagrin ; peut-être même croyais-je en avoir, à cause de la disposition des choses : car enfin, j’aimais un homme auquel il ne fallait plus penser ; et c’était là un sujet de douleur ; mais, d’un autre côté, j’en étais tendrement aimée, de cet homme, et c’est une grande douceur. Avec cela on est du moins tranquille sur ce qu’on vaut ; on a les honneurs essentiels d’une aventure, et on prend patience sur le reste.

D’ailleurs, je venais de m’engager à quelque chose de si généreux, je venais de montrer tant de raison, tant de franchise, tant de reconnaissance, de donner une si grande idée de mon cœur, que ces deux dames en avaient pleuré d’admiration pour moi. Oh ! voyez avec quelle complaisance je devais regarder ma belle âme, et combien de petites vanités intérieures devaient m’amuser et me distraire du souci que j’aurais pu prendre !

Mais venons aux suites de cet événement, et passons au lendemain.

Sans doute que ma lettre fut exactement rendue à Valville. C’était à onze heures du matin que je l’attendais au couvent, et il ne manqua pas d’y arriver à l’heure précise.

La première fois qu’il m’y avait vue, à ce qu’il m’a dit depuis, il avait cru nécessaire à de se travestir, par deux raisons : l’une était qu’après l’insulte qu’il