Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/32

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veut, cela me console de l’état où je vous laisse, tout triste qu’il est : il a ses vues pour vous qui valent mieux que les miennes. Peut-être languirai-je encore quelque temps, peut-être mourrai-je dans la première faiblesse qui me prendra (elle ne disait que trop vrai). Je n’oserais vous donner l’argent qui me reste ; vous êtes trop jeune, et l’on pourrait vous tromper : je veux le remettre entre les mains du religieux qui me vient voir ; je le prierai d’en disposer sagement pour vous : il est notre voisin ; s’il ne vient pas aujourd’hui, vous irez le chercher demain, afin que je lui parle. Après cette unique précaution qui me reste à prendre pour vous, je n’ai plus qu’une chose à vous dire : c’est d’être toujours sage. Je vous ai élevée dans l’amour de la vertu ; si vous gardez votre éducation, tenez, Marianne, vous serez héritière du plus grand trésor qu’on puisse vous laisser : car avec lui, ce sera vous, ce sera votre âme qui sera riche. Il est vrai, mon enfant, que cela n’empêchera pas que vous ne soyez pauvre du côté de la fortune, et que vous n’ayez encore de la peine à vivre ; peut-être aussi Dieu récompensera-t-il votre sagesse dès ce monde. Les gens vertueux sont rares, mais ceux qui estiment la vertu ne le sont pas ; d’autant plus qu’il y a mille occasions dans la vie où l’on a absolument besoin des personnes qui en ont. Par exemple, on ne veut se marier qu’à une honnête fille : est-elle pauvre ? on n’est point déshonoré en l’épousant ; n’a-t-elle