Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/33

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que des richesses sans vertu ? on se déshonore ; et les hommes seront toujours dans cet esprit-là, cela est plus fort qu’eux, ma fille ; ainsi vous trouverez quelque jour votre place ; et d’ailleurs, la vertu est si douce, si consolante dans le cœur de ceux qui en ont ! Fussent-ils toujours pauvres, leur indigence dure si peu, la vie est si courte ! Les hommes qui se moquent le plus de ce qu’on appelle sagesse traitent pourtant si cavalièrement une femme qui se laisse séduire, ils acquièrent des droits si insolents avec elle, ils la punissent tant de son désordre, ils la sentent si dépourvue contre eux, si désarmée, si dégradée, à cause qu’elle a perdu cette vertu dont ils se moquaient, qu’en vérité, ma fille, ce n’est que faute d’un peu de réflexion qu’on se dérange. Car, en y songeant, qui est-ce qui voudrait cesser d’être pauvre, à condition d’être infâme ? » Quelqu’un de la maison, qui entra alors, l’empêcha d’en dire davantage ; peut-être êtes-vous curieuse de savoir, ce que je lui répondis. Rien, car je n’en eus pas la force. Son discours et les idées de sa mort m’avaient bouleversé l’esprit : je lui tenais son bras que je baisai mille fois, voilà tout. Mais je ne perdis rien de tout ce qu’elle me dit, et en vérité je vous le rapporte presque mot pour mot, tant j’en fus frappée ; aussi avais-je alors quinze ans et demi pour le moins, avec toute l’intelligence qu’il fallait pour entendre cela.

Venons maintenant à l’usage que j’en ai fait. Que