Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/348

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là dedans ? répondit-elle. Qui est-ce qui y est encore ? La pauvre femme ! elle doit être bien désolée, n’est-ce pas ? Ils s’aimaient beaucoup ; c’est un si honnête homme, toute la famille y perd. Voici une fille qui en a pleuré hier toute la journée, et moi aussi (et cette fille, qui était la sienne, avait effectivement l’air assez contristé, et ne disait mot).

Nos yeux s’étaient quelquefois rencontrés comme à la dérobée, et il me semblait avoir vu dans ses regards autant d’honnêteté pour moi qu’elle en avait dû rencontrer dans les miens pour elle. J’avais lieu de soupçonner que j’étais de son goût ; de mon côté, j’étais enchantée d’elle, et j’avais bien raison de l’être.

Ah ! madame, l’aimable personne que c’était ! Je n’ai encore rien vu de cet âge-là qui lui ressemble ; jamais la jeunesse n’a tant paré personne ; il n’en fut jamais de si agréable, de si riante à l’œil que la sienne. Il est vrai que la demoiselle n’avait que dix-huit ans ; mais il ne suffit pas de n’avoir que cet âge-là pour être jeune comme elle l’était ; il faut y joindre une figure faite exprès pour s’embellir de ces airs lestes, fins et légers, de ces agréments sensibles, mais inexprimables, que peut y jeter la jeunesse ; et on peut avoir une très belle figure sans l’avoir propre et flexible à tout ce que je dis.

Il est question ici d’un charme à part, de je ne sais quelle gentillesse qui répand dans les mouvements, dans le geste même, dans les traits, plus d’âme et plus de vie qu’ils n’en ont d’ordinaire.

On disait l’autre jour à une dame qu’elle était au