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Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/37

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expirante, et peut-être déjà expirée, car elle n’avait plus de mouvement ; mais une demi-heure après, on vit qu’elle était morte. Les domestiques arrivèrent, il se fit un fracas pendant lequel je perdis connaissance, et on me porta dans une chambre voisine sans que je le sentisse. De l’état où je fus ensuite, je n’en parlerai point, vous le devinez bien ; et moi-même ce récit-là m’attriste encore.

Enfin me voilà seule, et sans autre guide qu’une expérience de quinze ans et demi, plus ou moins. Comme la défunte m’avait fait passer pour sa nièce, et que j’avais l’air raisonnable, on me rendit compte de tout ce qu’on disait lui avoir trouvé, et qui ne valait pas la peine qu’on y fît plus de cérémonie, quand même on m’aurait remis tout ce qu’il y avait. Mais une partie du linge fut volé avec d’autres bagatelles ; et de près de quatre cents livres que je savais qui lui restaient, on en prit bien la moitié, je pense ; je m’en plaignis, mais si faiblement que je n’insistai point. Dans l’affliction où j’étais, je n’avais plus rien à cœur. Comme je ne voyais plus personne qui prît part à moi ni à ma vie, je n’y en prenais plus moi-même ; et cette manière de penser me mettait dans un état qui ressemblait à de la tranquillité : mais qu’on est à plaindre avec cette tranquillité-là ! on est plus digne de pitié que dans le désespoir le plus emporté.