Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Tout le monde de la maison paraissait s’intéresser beaucoup à moi, surtout l’hôte et sa femme, qui venaient tendrement me consoler d’un malheur dont ils avaient fait leur profit ; et tout est plein de pareilles gens dans la vie : en général, personne ne marque tant de zèle pour adoucir vos peines, que les fourbes qui les ont causées et qui y gagnent. Je laissai vendre des habits dont on me donna ce qu’on voulut, et il y avait déjà quinze jours que ma chère tante, comme on l’appelait, et je dirais volontiers ma chère mère, ou plutôt mon unique amie, car il n’y a point de qualité qui ne le cède à celle-là, ni de cœur plus tendre, plus infaillible que le cœur inspiré par la véritable amitié ; il y avait donc déjà quinze jours que cette amie était morte, et je les avais passés dans cette auberge sans savoir ce que je deviendrais, ni sans m’en mettre en peine, quand ce religieux, dont j’ai déjà parlé, qui venait souvent voir la défunte, et qui avait été malade aussi, vint encore pour savoir de ses nouvelles. Il apprit sa mort avec chagrin ; et comme il était le seul qui sût le secret de ma naissance, que la défunte avait trouvé à propos de l’en instruire, et que je savais qu’il en était instruit, je le vis arriver avec plaisir.

Il fut extrêmement sensible à mon malheur, et au peu de souci que j’avais de moi dans ma consternation ; il me parla là-dessus d’une manière très touchante, me fit envisager les dangers que je courais en restant dans cette maison seule et sans être réclamée de qui que ce soit au monde : et effectivement c’était