Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/39

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une situation qui m’exposait d’autant plus que j’étais d’une figure très aimable, et à cet âge où les grâces sont si charmantes, parce qu’elles sont ingénues et toutes fraîches écloses.

Son discours fit son effet : j’ouvris les yeux sur mon état, et je pris de l’inquiétude de ce que je deviendrais ; cette inquiétude me jeta encore mille fantômes dans l’esprit. Où irai-je, lui disais-je en fondant en larmes ; je n’ai personne sur la terre qui me connaisse ; je ne suis la fille ni la parente de qui que ce soit ! À qui demanderai-je du secours ? Qui est-ce qui est obligé de m’en donner ? Que ferai-je en sortant d’ici ? L’argent que j’ai ne me durera pas longtemps, on peut me le prendre, et voilà la première fois que j’en ai et que j’en dépense.

Ce bon religieux ne savait que me répondre ; je crus même voir à la fin que je lui étais à charge, parce que je le conjurais de me conduire ; et, ces bonnes gens, quand ils vous ont parlé, qu’ils vous ont exhorté, ils ont fait pour vous tout ce qu’ils peuvent faire.

De retourner à mon village, c’était une folie, je n’y avais plus d’asile ; je n’y retrouverais qu’un vieillard tombé dans l’imbécillité, qui avait tout vendu pour nous envoyer le dernier argent que nous avions reçu, et qui achevait de mourir sous la tutelle d’un