Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/416

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mère pourraient me suivre, et voir où l’on me conduira.

Voyez, je vous prie, à quoi l’on va penser dans de certaines situations. Il n’y a point d’accident pour ou contre que l’on n’imagine, point de chimère agréable ou fâcheuse qu’on ne se forge.

Aussi, en supposant même que je rencontrasse ma mère ou son fils, était-il bien sûr qu’ils crieraient qu’on arrêtât ? pensais-je en moi-même. Ne fermeront-ils pas les yeux ? ne feront-ils point semblant de ne me pas voir ? Eh ! Seigneur, s’ils avaient donné les mains à mon enlèvement ! si la famille, à force de représentations, de prières, de reproches, leur avait persuadé de se dédire ! Les maximes ou les usages du monde me sont si contraires, les grands sentiments se soutiennent si difficilement, et le misérable orgueil des hommes veut qu’on fasse si peu de cas de moi ! Il est si scandalisé de ma misère ! Et là-dessus je recommençais à pleurer, et un moment après à me flatter. Mais j’oubliais un article de mon récit.

C’est qu’en entrant sur le soir dans ma chambre, au sortir du jardin où je m’étais promenée, je vis mon coffre (car je n’avais point encore d’autre meuble) qui était sur une chaise, et qu’on avait apporté de mon autre couvent.

Vous ne sauriez croire de quel nouveau trouble il me frappa. Mon enlèvement m’avait, je pense, moins consternée ; les bras m’en tombèrent.

Comment ! m’écriai-je, ceci est donc bien sérieux !