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Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/42

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glaçait aux périls que je me figurais : car quand une fois l’imagination est en train, malheur à l’esprit qu’elle gouverne.

J’entretenais le religieux de mes idées noires, quand celui qui avait fait notre message nous vint dire que le carrosse de l’honnête homme en question nous attendait en bas, et qu’il n’avait pu ni écrire ni venir lui-même, parce qu’il était en affaire quand il avait reçu le billet. Sur-le-champ je fis mon paquet ; on aurait dit qu’on me rachetait la vie ; je fis appeler cet hôte et cette hôtesse si effrayants ; et il est vrai qu’ils n’avaient pas trop bonne mine, et que l’imagination n’avait pas grand ouvrage à faire pour les rendre désagréables. Ce qui est de sûr, c’est que j’ai toujours retenu leurs visages ; je les vois encore, je les peindrais, et dans le cours de ma vie, j’ai connu quelques honnêtes gens que je ne pouvais souffrir, à cause que leur physionomie avait quelque air de ces visages-là.

Je montai donc dans le carrosse avec ce religieux, et nous arrivons chez la personne en question. C’était un homme de cinquante à soixante ans, encore assez bien fait, fort riche, d’un visage doux et sérieux, où l’on voyait un air de mortification qui empêchait qu’on ne remarquât tout son embonpoint.

Il nous reçut bonnement et sans façon, et sans autre compliment que d’embrasser d’abord le religieux ;