Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/44

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cœur et du caractère de son esprit : on est même porté à croire qu’elle a de la naissance ; en vérité, son malheur est bien grand ! Que les desseins de Dieu sont impénétrables !

Mais revenons au plus pressé, ajouta-t-il après s’être ainsi prosterné en esprit devant les desseins de Dieu : comme vous n’avez nulle fortune dans ce monde, il faut voir à quoi vous vous destinez : la demoiselle qui est morte n’avait-elle rien résolu pour vous ? Elle avait, lui dis-je, intention de me mettre chez une marchande. Fort bien, reprit-il, j’approuve ses vues ; sont-elles de votre goût ? Parlez franchement, il y a plusieurs choses qui peuvent vous convenir ; j’ai, par exemple, une belle-sœur qui est une personne très raisonnable, fort à son aise, et qui vient de perdre une demoiselle qui était à son service, qu’elle aimait beaucoup, et à qui elle aurait fait du bien dans la suite ; si vous vouliez tenir sa place, je suis persuadé qu’elle vous prendrait avec plaisir.

Cette proposition me fit rougir. Hélas ! monsieur, lui dis-je, quoique je n’aie rien, et que je ne sache à qui je suis, il me semble que j’aimerais mieux mourir que d’être chez quelqu’un en qualité de domestique ; et si j’avais mon père et ma mère, il y a toute apparence que j’en aurais moi-même, au lieu d’en servir à personne.

Je lui répondis cela d’une manière fort triste ; après quoi, versant quelques larmes : Puisque je suis obligée de travailler pour vivre, ajoutai-je en sanglotant, je préfère