Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/442

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moi à l’abbesse, qui me le répéta, je m’y suis attachée, madame, et il n’y a pas moyen de faire autrement avec elle. C’est un cœur, c’est une âme, une façon de penser qui vous étonnerait. Vous savez qu’elle ne possède rien, et vous ne sauriez croire combien je l’ai trouvée noble, généreuse et désintéressée, cette chère enfant ; cela passe l’imagination, et je l’estime encore plus que je ne l’aime ; j’ai vu d’elle des traits de caractère qui m’ont touchée jusqu’au fond du cœur. Imaginez-vous que c’est moi, que c’est ma personne qu’elle aime, et non pas les secours que je lui donne ; est-ce que cela n’est pas admirable dans la situation où elle est ? je crois qu’elle mourrait plutôt que de me déplaire ; elle pousse cela jusqu’au scrupule ; et si je cessais de l’aimer, elle n’aurait plus le courage de rien recevoir de moi. Ce que je vous dis est vrai, et cependant je la perds, car comment la retrouver ? Qu’est-ce que mes indignes parents en ont fait ? Où l’ont-ils mise ?

Mais, madame, pourquoi vous l’enlèveraient-ils ? lui répondait l’abbesse. D’où vient qu’ils seraient fâchés de vos bontés et de votre charité pour elle ? Quel intérêt ont-ils d’y mettre obstacle ?

Hélas ! madame, lui disait-elle, c’est que mon fils n’a pas eu l’orgueil de la mépriser ; c’est qu’il a eu assez de raison pour lui rendre justice, et le cœur assez bien fait pour sentir ce qu’elle vaut ; c’est qu’ils ont craint qu’il ne l’aimât trop, que je ne l’aimasse trop moi-même, et que je ne consentisse à l’amour de mon fils, qui la connaît. De vous dire comment, et où il l’a