Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/57

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j’ai n’en ont fait que diminuer la quantité, sans en avoir changé la couleur, qui est encore du plus clair châtain.

M. de Climal les regardait, les touchait avec passion ; mais cette passion, je la regardais comme un pur badinage. Marianne, me disait-il quelquefois, vous n’êtes point si à plaindre : de si beaux cheveux et ce visage-là ne vous laisseront manquer de rien. Ils ne me rendront ni mon père ni ma mère, lui répondis-je. Ils vous feront aimer de tout le monde, me dit-il ; et pour moi, je ne leur refuserai jamais rien. Oh ! pour cela, monsieur, lui dis-je, je compte sur vous et sur votre bon cœur. Sur mon bon cœur ? reprit-il en riant ; eh ! vous parlez donc de cœur, chère enfant, et le vôtre, si je vous le demandais, me le donneriez-vous ? Hélas ! vous le méritez bien, lui dis-je naïvement.

À peine lui eus-je répondu cela, que je vis dans ses yeux quelque chose de si ardent, que ce fut un coup de lumière pour moi ; sur-le-champ je me dis en moi-même : Il se pourrait bien faire que cet homme-là m’aimât comme un amant aime une maîtresse ; car enfin, j’en avais vu, des amants, dans mon village, j’avais entendu parler d’amour, j’avais même déjà lu quelques romans à la dérobée ; et tout cela, joint aux leçons que la nature nous donne, m’avait du moins fait sentir qu’un amant était bien différent d’un ami ; et sur cette différence, que j’avais comprise à ma manière, tout d’un coup les regards de M. de Climal me parurent d’une espèce suspecte.