Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/62

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me faisait, et j’étais bien aise apparemment que ce plaisir fît son effet sans qu’il y eût de ma faute : souplesse admirable pour être innocent d’une sottise qu’on a envie de faire. Après cela, me dis-je, M. de Climal ne m’a point encore parlé de son amour, peut-être même n’osera-t-il m’en parler de longtemps, et ce n’est point à moi à deviner le motif de ses soins. On m’a menée à lui comme à un homme charitable et pieux, il me fait du bien : tant pis pour lui si ce n’est point dans de bonnes vues, je ne suis point obligée de lire dans sa conscience, et je ne serai complice de rien, tant qu’il ne s’expliquera pas ; ainsi j’attendrai qu’il me parle sans équivoque.

Ce petit cas de conscience ainsi décidé, mes scrupules se dissipèrent et le linge et l’habit me parurent de bonne prise.

Je les emportai chez Mme Dutour ; il est vrai qu’en nous en retournant, M. de Climal rendit, par-ci par-là, sa passion encore plus aisée à deviner que de coutume : il se démasquait petit à petit, l’homme amoureux se montrait, je lui voyais déjà la moitié du visage, mais j’avais conclu qu’il fallait que je le visse tout entier pour le reconnaître, sinon il était arrêté que je ne verrais rien. Les hardes n’étaient pas encore en lieu de sûreté, et si je m’étais scandalisée trop tôt, j’aurais peut-être tout perdu. Les passions de l’espèce de celle de M. de Climal sont naturellement lâches ; quand on les désespère, elles ne se piquent pas de faire une retraite bien honorable, et c’est un vilain amant qu’un homme qui vous