Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/63

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désire plus qu’il ne vous aime : non pas que l’amant le plus délicat ne désire à sa manière, mais du moins c’est que chez lui les sentiments du cœur se mêlent avec les sens ; tout cela se fond ensemble, ce qui fait un amour tendre, et non pas vicieux, quoique à la vérité capable du vice ; car tous les jours, en fait d’amour, on fait très délicatement des choses fort grossières. Mais il ne s’agit point de cela.

Je feignis donc de ne rien comprendre aux petits discours que me tenait M. de Climal pendant que nous retournions chez Mme Dutour. J’ai peur de vous aimer trop, Marianne, me disait-il ; et si cela était que feriez-vous ? Je ne pourrais en être que plus reconnaissante, s’il était possible, lui répondais-je. Cependant, Marianne, je me défie de votre cœur, quand il connaîtra toute la tendresse du mien, ajouta-t-il, car vous ne la savez pas. Comment, lui dis-je, vous croyez que je ne vois pas votre amitié ? Eh ! ne changez point mes termes, reprit-il, je ne dis pas mon amitié, je parle de ma tendresse. Quoi ! dis-je, n’est-ce pas la même chose ? Non, Marianne, me répondit-il, en me regardant d’une manière à m’en prouver la différence ; non, chère fille, ce n’est pas la même chose, et je voudrais bien que l’une vous parût plus douce que l’autre. Là-dessus je ne pus m’empêcher de baisser les yeux, quoique j’y résistasse ; mais mon embarras fut plus fort que moi. Vous ne me dites mot ; est-ce que vous m’entendez ? me dit-il en me serrant la main. C’est, lui dis-je, que je suis honteuse de ne savoir que répondre à tant de bonté.