Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/70

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marché ; que je voulais sortir sur-le-champ ; que j’allais envoyer chercher un carrosse pour emporter mes hardes ; que j’irais où je pourrais ; qu’il valait mieux qu’une fille comme moi mourût d’indigence que de vivre aussi déplacée que je l’étais ; que je leur laissais les présents de M. de Climal, que je m’en souciais aussi peu que de son amour, s’il était vrai qu’il en eût pour moi. Enfin j’étais comme un petit lion, ma tête s’était démontée, outre que tout ce qui pouvait m’affliger se présentait à moi : la mort de ma bonne amie, la privation de sa tendresse, la perte terrible de mes parents, les humiliations que j’avais souffertes, l’effroi d’être étrangère à tous les hommes, de ne voir la source de mon sang nulle part, la vue d’une misère qui ne pouvait peut-être finir que par une autre ; car je n’avais que ma beauté qui pût me faire des amis. Et voyez quelle ressource que le vice des hommes ! N’était-ce pas là de quoi renverser une cervelle aussi jeune que la mienne ?

Mme Dutour fut effrayée du transport qui m’agitait ; elle ne s’y était pas attendue, et n’avait compté que de me voir honteuse. Mon Dieu ! Marianne, me disait-elle quand elle pouvait placer un mot, on peut se tromper ; apaisez-vous, je suis fâchée de ce que j’ai dit (car mon emportement ne manqua pas de me justifier : j’étais trop outrée pour être coupable) ; allons, ma fille. Mais j’allais toujours mon train, et à toute force je voulais sortir.

Enfin elle me poussa dans une petite salle, où elle s’enferma avec moi ; et là j’en dis encore tant, que j’épuisai