Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/267

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et m’a exposé le fait. Cette femme y a répondu inutilement ce que je viens de vous dire ; elle pleurait, je la voyais plus confuse et plus consternée que hardie, elle ne se défendait presque que par sa douleur, elle ne jetait que des soupirs, avec un visage plus pâle et plus défait que je ne puis vous l’exprimer. Elle m’a tirée à quartier, m’a, suppliée, si j’avais quelque pouvoir sur cet homme, de l’engager à lui accorder le peu de jours de délai qu’elle lui demandait, m’a donné sa parole qu’il serait payé, enfin m’a parlé d’un air et d’un ton qui m’ont pénétrée d’une véritable pitié ; j’ai même senti de la considération pour elle. Il n’était question que de dix écus : si je les perds, ils ne me ruineront pas ; et Dieu m’en tiendra compte, il n’y a rien de perdu avec lui. J’ai donc dit que j’allais les payer. Je l’ai fait remonter dans sa chambre, où l’on a reporté sa cassette ; et j’ai emmené cet homme pour lui compter son —argent chez moi. Voilà, mesdames, mot pour mot, l’histoire que je vous conte toute entière, à cause de l’impression qu’elle m’a faite, et il en arrivera ce qui pourra ; mais je n’aurais pas eu de repos avec moi sans les dix écus que j’ai avancés.

Nous ne fûmes pas insensibles à ce récit, Mme Darcire et moi. Nous nous sentîmes attendries pour cette femme, qui, dans une aventure aussi douloureuse, avait su moins disputer que pleurer ; nous donnâmes de grands éloges à la bonne action de notre hôtesse, et nous voulûmes toutes deux y avoir part.

Le maître de cette auberge est apaisé, lui dîmes-