Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/277

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Hélas ! madame, lui répondis-je en soupirant aussi, vous parlez de la tendresse de ma mère. Si je vous disais que je n’ose pas me flatter qu’elle m’aime, et que ce sera bien assez pour moi si elle n’est pas fâchée de me voir, quoiqu’il y ait près de vingt ans qu’elle m’ait perdu de vue. Mais il ne s’agit pas de moi ici, nous nous entretiendrons de ce qui me regarde une autre fois. Revenons à vous, je vous prie. Vous êtes sans doute mal servie, vous avez besoin d’une garde ; et je dirai à l’aubergiste, en descendant, de vous en chercher une dès aujourd’hui.

Je crus qu’elle allait répondre à ce que je lui disais, mais je fus bien étonnée de la voir tout à coup verser une abondance de larmes ; et puis, revenant à ce nombre d’années que j’avais passées éloignée de ma mère :

Depuis vingt ans qu’elle vous a perdue de vue ! s’écria-t-elle d’un air pensif et pénétré, je ne saurais entendre cela qu’avec douleur ! juste ciel ! que votre mère a de reproches à se faire, aussi bien que moi ! Eh ! dites-moi, mademoiselle, ajouta-t-elle sans me laisser le temps de la réflexion, pourquoi vous a-t-elle si fort négligée ? Dites-m’en la raison, je vous prie ?

C’est, lui répondis-je, que je n’avais tout au plus que deux ans quand elle se remaria, et que, trois semaines après, son mari l’emmena à Paris, où elle accoucha d’un fils qui m’aura sans doute effacée de son cœur, ou du moins de son souvenir. Et depuis qu’elle est partie, je n’ai eu personne auprès d’elle qui lui ait parlé de moi ; je n’ai reçu en ma vie que trois ou quatre de ses lettres, et il n’y a pas plus de quatre mois que