Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/427

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Moi qui n’avais pas été fâché de la mort de son mari, et qui dans le fond n’avais pas dû l’être, je réparai bien cette insensibilité excusable par mon attendrissement pour sa femme. Je ne pus la voir sans pleurer avec elle ; il me semblait que si j’avais eu des millions, je les lui aurais donnés avec une joie infinie : aussi était-ce ma bienfaitrice.

Mais de quoi lui servait que je fusse touché de son infortune ? C’était la tendre compassion de ses amis qu’il lui fallait alors, et non pas celle d’un misérable comme moi, qui ne pouvais rien pour elle.

Mais dans ce monde toutes les vertus sont déplacées, aussi bien que les vices. Les bons et les mauvais cœurs ne se trouvent point à leur place. Quand je ne me serais pas soucié de la situation de cette dame, elle n’y aurait rien perdu, mon ingrate insensibilité n’eût fait tort qu’à moi. Celle de ses amis qu’elle avait tant fêtés la laissait sans ressource et mettait le comble à ses maux.

Il en vint d’abord quelques-uns, de ces indignes amis ; mais dès qu’ils virent que le feu était dans les affaires et que la fortune de leur amie s’en allait en ruine, ils courent encore, et apparemment qu’ils avertirent les autres, car il n’en revint plus.

Je passe la suite de ces tristes événements ; le détail en serait trop long.

Je ne demeurai plus que trois jours dans la maison ; tous les domestiques furent renvoyés, à une femme de chambre près, que madame n’avait peut-être jamais autant aimée que les autres, à qui dans ce