Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/96

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et des parents, et vous allez savoir à quoi ils me serviront.

Ma mère est donc veuve. Je ne sais si je vous ai dit qu’elle était belle, et, ce qui vaut encore mieux, que c’était une des plus aimables femmes de la province ; si aimable que, malgré son peu de fortune et l’enfant dont elle était chargée (je parle de moi), il n’avait tenu qu’à elle de se remarier, et même assez avantageusement. Mais mon père alors lui était encore trop cher ; elle en gardait un ressouvenir trop tendre, et elle n’avait pu se résoudre à vivre pour un autre.

Cependant un grand seigneur de la cour, qui avait une terre considérable dans notre voisinage, vint y passer quelque temps ; il vit ma mère, il l’aima. C’était un homme de quarante ans, de très bonne mine ; et cet amant, bien plus distingué que tous ceux qui s’étaient présentés, et dont l’amour avait quelque chose de bien plus flatteur, commença d’abord par amuser sa vanité, la fit ressouvenir qu’elle était belle et finit insensiblement par lui faire oublier son premier mari, et par obtenir son cœur.

Il lui offrit sa main, et elle l’épousa ; je n’avais encore qu’un an et demi tout au plus.

Voilà donc la situation de ma mère bien changée ; la voilà devenue une des plus grandes dames du royaume, mais aussi la voilà perdue pour moi. Trois semaines après son mariage, je n’eus plus de mère ; les honneurs et le faste qui l’environnaient me dérobèrent sa tendresse, laissèrent plus de place pour moi dans son cœur. Et cette petite fille auparavant si