Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1827, tome 8.djvu/83

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vous donnera point encore une juste idée de celui de ma femme.

Pour aimer comme elle, il faut avoir été trente ans dévote, et pendant trente ans avoir eu besoin de courage pour l’être ; il faut pendant trente ans avoir résisté à la tentation de songer à l’amour, et trente ans s’être fait un scrupule d’écouter ou même de regarder les hommes qu’on ne haïssait pourtant pas.

Oh ! mariez-vous après trente ans d’une vie de cette force-là, trouvez-vous du soir au matin l’épouse d’un homme, c’est déjà beaucoup ; j’ajoute aussi d’un homme que vous aimerez d’inclination, ce qui est encore plus, et vous serez pour lors une autre Mlle Habert, et je vous réponds que qui vous épousera verra bien que j’ai raison, quand je dis que son amour n’était fait comme celui de personne.

Caractérisez donc cet amour, me dira-t-on ; mais doucement, aussi bien je ne saurais ; tout ce que j’en puis dire, c’est qu’elle me regardait ni plus ni moins que si j’avais été une image ; et c’était sa grande habitude de prier et de tourner affectueusement les yeux en priant qui faisait que ses regards sur moi avaient cet air-là.

Quand une femme vous aime, c’est avec amour qu’elle vous le dit ; c’était avec dévotion que me le disait la mienne, mais avec une dévotion délicieuse ; vous eussiez cru que son cœur traitait amoureusement avec moi une affaire de conscience, et que cela signifiait :