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Attendez donc qu’on achève, mon fils, lui dit madame Dursan d’un air assez brusque, que madame Dorfrainville remarqua comme moi. J’aurais été honteux de me taire, reprit le jeune homme plus doucement ; et l’on continua de lire.

L’air brusque que madame Dursan avait eu avec son fils venait apparemment de ce qu’elle savait mon peu de fortune ; et, malgré le tiers du bien de ma tante que je devais emporter, si Dursan ne m’épousait pas, elle le voyait non seulement en état de faire un très riche mariage, mais encore d’aspirer aux partis les plus distingués par la naissance.

Quoi qu’il en soit, elle ne put s’empêcher, quelques jours après, de dire à madame Dorfrainville que j’avais bien raison de regretter une tante qui m’avait si bien traitée. Savez-vous qu’il n’a tenu qu’à mademoiselle de Tervire de l’être encore mieux ? lui répondit cette dame, qui fut scandalisée de sa façon de penser. Vous ne devez pas oublier que vous n’auriez rien sans elle, sans son désintéressement et sa généreuse industrie. Ne la regardez pas comme une fille qui n’a rien ; votre fils, en l’épousant, madame, épousera l’héritière de tout le bien qu’il a. Voilà ce qu’il en pense lui-même, et vous ne sauriez penser autrement sans une ingratitude dont je ne vous crois pas coupable.

À l’égard de leur mariage, repartit madame Dursan en souriant, mon fils est encore si jeune qu’il sera temps d’y songer dans quelques années. Comme il vous plaira, répondit madame Dorfrainville, qui ne daigna pas lui en dire davantage, et qui se sépara d’elle avec une froideur dont madame Dursan profita pour avoir un prétexte de ne la plus voir, et pour se délivrer de ses reproches.

Cette femme, que nous avions mal connue, ne s’en tint pas à éloigner le mariage en question. Je sus qu’elle faisait consulter d’habiles gens pour savoir si on ne pourrait pas attaquer le dernier écrit de ma tante ; ce fut encore madame Dorfrainville qu’on instruisit de cette autre indignité, et qui me l’apprit.