Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/107

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comme un César » ; mais si ce César était à ma place, il serait bien sot.

Lélio.

Le hasard me fit connaître une femme qui hait l’amour ; nous lions cependant commerce d’amitié, qui doit durer pendant notre séjour ici ; je la conduis chez elle ; nous nous quittons en bonne intelligence. Nous avons à nous revoir ; je viens la trouver indifféremment ; je ne songe non plus à l’amour qu’à m’aller noyer ; j’ai vu sans danger les charmes de sa personne ; voilà qui est fini, ce semble. Point du tout, cela n’est pas fini ; j’ai maintenant affaire à des caprices, à des fantaisies, équipages d’esprit que toute femme apporte en naissant. Mme la Comtesse se met à rêver, et l’idée qu’elle imagine, en se jouant, serait la ruine de mon repos, si j’étais capable d’y être sensible.

Arlequin.

Mon cher maître, je crois qu’il faudra que je saute le bâton.

Lélio.

Un billet m’arrête en chemin, billet diabolique, empoisonné, où l’on écrit que l’on ne veut plus me voir, que ce n’est pas la peine. M’écrire cela à moi, qui suis en pleine sécurité, qui n’ai rien fait à cette femme ! S’attend-on à cela ? Si je ne prends garde à moi, si je raisonne à l’ordinaire, qu’en arrivera-t-il ? Je serai étonné, déconcerté : premier degré de folie ; car je vois cela tout comme si j’y étais. Après quoi, l’amour-propre s’en mêle ; on se croit méprisé, parce qu’on s’estime un peu ; je m’aviserai d’être choqué ; me voilà fou complet. Deux jours après, c’est de l’amour qui se déclare ; d’où vient-il ? pourquoi vient-il ? D’une petite