Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/238

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Arlequin.

Eh ! je n’en serais ni bien aise ni fâché ; c’est suivant la fantaisie qu’on a.

Le Seigneur.

Vous y trouverez de l’avantage ; vous en serez plus respecté et plus craint de vos voisins.

Arlequin.

J’ai opinion que cela les empêcherait de m’aimer de bon cœur ; car quand je respecte les gens, moi, et que je les crains, je ne les aime pas de si bon courage ; je ne saurais faire tant de choses à la fois.

Le Seigneur.

Vous m’étonnez !

Arlequin.

Voilà comme je suis bâti. D’ailleurs, voyez-vous, je suis le meilleur enfant du monde, je ne fais de mal à personne ; mais quand je voudrais nuire, je n’en ai pas le pouvoir. Eh bien, si j’avais ce pouvoir, si j’étais noble, diable emporte si je voudrais gager d’être toujours brave homme : je ferais parfois comme le gentilhomme de chez nous, qui n’épargne pas les coups de bâtons à cause qu’on n’oserait les lui rendre.

Le Seigneur.

Et si on vous donnait ces coups de bâtons, ne souhaiteriez-vous pas être en état de les rendre ?

Arlequin.

Pour cela, je voudrais payer cette dette-là sur-le-champ.

Le Seigneur.

Oh ! comme les hommes sont quelquefois méchants, mettez-vous en état de faire du mal,