Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/71

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Lélio.

Non, ce sont là les instruments de notre supplice. Dis-moi, mon pauvre garçon, si tu trouvais sur ton chemin de l’argent d’abord, un peu plus loin de l’or, un peu plus loin des perles, et que cela te conduisît à la caverne d’un monstre, d’un tigre, si tu veux, est-ce que tu ne haïrais pas cet argent, cet or et ces perles ?

Arlequin.

Je ne suis pas si dégoûté, je trouverais cela fort bon : il n’y aurait que le vilain tigre dont je ne voudrais pas ; mais je prendrais vitement quelques milliers d’écus dans mes poches, je laisserais là le reste, et je décamperais bravement après.

Lélio.

Oui ; mais tu ne saurais point qu’il y a un tigre au bout, et tu n’auras pas plutôt ramassé un écu que tu ne pourras t’empêcher de vouloir le reste.

Arlequin.

Fi ! par la morbleu ! c’est bien dommage ; voilà un sot trésor, de se trouver sur ce chemin-là. Pardi ! qu’il aille au diable, et l’animal avec.

Lélio.

Mon enfant, cet argent que tu trouves d’abord sur ton chemin, c’est la beauté, ce sont les agréments d’une femme qui t’arrêtent ; cet or que tu rencontres encore, ce sont les espérances qu’elle te donne ; enfin ces perles, c’est son cœur qu’elle t’abandonne avec tous ses transports.

Arlequin.

Aïe ! aïe ! gare l’animal !