Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un sexe avec qui j’ai cru devoir rompre pour toute ma vie. Cela vous paraîtra bien bizarre ; je ne chercherai point à me justifier ; car il me reste un peu de politesse, et je craindrais d’entamer une matière qui me met toujours de mauvaise humeur ; et si je parlais, il pourrait, malgré moi, m’échapper des traits d’une incivilité qui vous déplairait, et que mon respect vous épargne.

Colombine.

Mort de ma vie ! madame, est-ce que ce discours-là ne vous remue pas la bile ? Allez, monsieur, tous les renégats font mauvaise fin ; vous viendrez quelque jour crier miséricorde et ramper aux pieds de vos maîtres, et ils vous écraseront comme un serpent. Il faut bien que justice se fasse.

Lélio.

Si madame n’était pas présente, je vous dirais franchement que je ne vous crains ni ne vous aime.

La Comtesse.

Ne vous gênez point, monsieur. Tout ce que nous disons ici ne s’adresse point à nous ; regardons-nous comme hors d’intérêt. Et, sur ce pied-là, peut-on vous demander ce qui vous fâche si fort contre les femmes ?

Lélio.

Ah ! madame, dispensez-moi de vous le dire ; c’est un récit que j’accompagne ordinairement de réflexions où votre sexe ne trouve pas son compte.

La Comtesse.

Je vous devine ; c’est une infidélité qui vous a donné tant de colère.

Lélio.

Oui, madame, c’est une infidélité ; mais affreuse, mais détestable.