Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/87

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Lélio.

Je n’ai l’honneur de connaître madame que depuis un instant. Et d’où vient ta surprise ?

Le Baron.

Comment, ma surprise ! voici peut-être le coup de hasard le plus bizarre qui soit arrivé.

Lélio.

En quoi ?

Le Baron.

En quoi ? morbleu ! Je n’en saurais revenir ; c’est le fait le plus curieux qu’on puisse imaginer. Dès que je serai à Paris, où je vais, je le ferai mettre dans la gazette.

Lélio.

Mais que veux-tu dire ?

Le Baron.

Songez-vous à tous les millions de femmes qu’il y a dans le monde, au couchant, au levant, au septentrion, au midi, Européennes, Asiatiques, Africaines, Américaines, blanches, noires, basanées, de toutes les couleurs ? Nos propres expériences, et les relations de nos voyageurs, nous apprennent que partout la femme est amie de l’homme, que la nature l’a pourvue de bonne volonté pour lui ; la nature n’a manqué que madame. Le soleil n’éclaire qu’elle chez qui notre espèce n’ait point rencontré grâce, et cette seule exception de la loi générale se rencontre avec un personnage unique ; je te le dis en ami, avec un homme qui nous a donné l’exemple d’un fanatisme tout neuf ; qui seul de tous les hommes n’a pu s’accoutumer aux coquettes qui fourmillent sur la terre, et qui sont aussi anciennes que le monde ; enfin, qui s’est condamné à venir ici languir de chagrin de ne plus voir de