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Scène XV

Madame Alain, Agathe, Monsieur Thibaut, le Second Notaire.

AGATHE : Ma mère, voilà ces messieurs.
MADAME ALAIN : Je suis votre servante, Monsieur Thibaut. Il y a longtemps que nous ne nous étions vus, quoique alliés.
MONSIEUR THIBAUT : Je ne m’en cache pas, Madame. Qu’y a-t-il pour votre service ?
MADAME ALAIN, à Agathe : Ma fille, Mademoiselle Habert et Monsieur de la Vallée sont dans mon cabinet ; dites-leur de venir. Ah ! les voilà. Agathe, retirez-vous.
AGATHE : Je sors, ma mère ; c’est à vous de me gouverner là-dessus.


Scène XVI

Madame Alain, Monsieur Thibaut, le Second Notaire, La Vallée, Mademoiselle Habert.

MADAME ALAIN, aux notaires : Messieurs, il est question d’un contrat de mariage pour les deux personnes que vous voyez, et Monsieur Rémy, qui est connu de vous, Monsieur Thibaut, va servir de témoin.
LE NOTAIRE : Nous n’avons rien à demander à Mademoiselle : elle est en état de disposer d’elle, mais Monsieur me paraît bien jeune ; est-il en puissance de père et de mère ?
LA VALLÉE : Non. Il y aura deux ans vienne l’été que le dernier des deux mourut hydropique.
LE NOTAIRE : N’auriez-vous pas un consentement de parents ?
LA VALLÉE, présentant un papier : Vlà celui de mon oncle. Oh ! il n’y manque rien ; le juge du lieu y a passé : signature, paraphe, tout y est ; la feuille timbrée dit tout.
MONSIEUR THIBAUT : Vous n’êtes pas d’ici apparemment ?
LA VALLÉE : Non, Monsieur ; je suis bourguignon pour la vie, du pays du bon vin.
MONSIEUR THIBAUT, étudiant le papier : Cela me paraît en bonne forme, et puis nous nous en rapportons à Madame Alain dès que c’est chez elle que vous vous mariez.
MADAME ALAIN : Je les connais tous deux ; Mademoiselle loge chez moi.
MONSIEUR THIBAUT : Commençons toujours, en attendant Monsieur Rémy.
MADAME ALAIN : Je le vois qui vient.


Scène XVII

Madame Alain, Monsieur Thibaut, le Second Notaire, La Vallée, Mademoiselle Habert, Monsieur Rémy.

MONSIEUR RÉMY, aux notaires : Messieurs, je vous salue. (À Madame Alain.) Madame, j’ai un petit mot à vous dire à quartier, avec la permission de la compagnie.
Tous deux s’écartent.
MADAME ALAIN : Qu’est-il arrivé ?
MONSIEUR RÉMY : J’ai été obligé de dire à ma femme pourquoi j’étais retenu ici, mais je n’ai nommé personne.
MADAME ALAIN : C’est vous qui avez deviné ; je ne vous ai rien dit.
MONSIEUR RÉMY : Non. Au mot de secret, un jeune Monsieur qui venait pour une maison que je vends m’a prié de l’amener chez vous. Il vous apprendra, dit-il, des choses singulières que vous ne savez pas.
MADAME ALAIN : Des choses singulières ! Qu’il vienne !
MONSIEUR RÉMY : Il m’attend là-bas, et je vais le chercher si vous le voulez.
MADAME ALAIN : Si je le veux ? Belle demande ! Des choses singulières, je n’ai garde d’y manquer ; il y a des cas où il faut tout savoir.
MONSIEUR RÉMY : Je vais le faire venir, et prendre de ces marchandises dans votre armoire ; je les porterai chez moi où l’on doit les venir prendre ce soir.
MADAME ALAIN : Allez, Monsieur Rémy. (Il sort.) (Aux notaires.) Messieurs, je vous demande pardon, mais passez, je vous prie pour un demi-quart d’heure dans le cabinet. (À Mademoiselle Habert.) Approchez, ma chère amie. Il va monter un homme qui, je crois, veut m’entretenir de vous. Laissez-moi, et que Monsieur de la Vallée soit témoin du zèle et de la discrétion que j’aurai.
MADEMOISELLE HABERT : Oui, mais si c’est quelqu’un qui l’ait vu chez ma sœur ?
MADAME ALAIN : La réflexion est sensée. Retirez-vous, Mademoiselle, et vous, Monsieur, de la porte du cabinet, vous jetterez un coup d’œil sur l’homme qui va entrer ; s’il ne vous connaît pas, vous serez mon parent, comme vous étiez celui de Mademoiselle.
MADEMOISELLE HABERT : Cette visite m’inquiète…
Elle se retire.


Scène XVIII

Madame Alain, La Vallée, Le Neveu de Mademoiselle Habert.

MADAME ALAIN, les premiers mots à La Vallée : Monsieur de la Vallée, vous ne serez point de trop. Monsieur, vous pouvez dire devant lui ce qu’il vous plaira.
LE NEVEU : Excusez la liberté que je prends. On dit que vous avez chez vous une demoiselle qui va se marier incognito.
LA VALLÉE : Il n’y a point de cet incognito ici ; il faut que ce soit à une autre porte. (Bas, à Madame Alain.) Défiez-vous de ce gaillard-là, cousine.
MADAME ALAIN, à La Vallée, de même : Il n’y a point de mystère : c’est Monsieur Rémy qui l’a amené. (Au neveu.) Oui, il y a une demoiselle qui se marie, et qui n’est peut-être que la vingtième du quartier qui en fait autant ; j’en sais cinq ou six pour ma part. Reste à savoir si Monsieur connaît la nôtre.
LE NEVEU : Si c’est celle que je cherche, je suis de ses amis et j’ai quelque chose à lui remettre.