Page:Marmette - L'intendant Bigot, 1872.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

obtenir l’autorisation. Car le vaisseau se trouvait alors mouillé vis-à-vis de la Pointe-aux-Trembles et sans communication avec le général Wolfe, qui seul, au dire du capitaine, pouvait permettre une pareille chose.

Sachant combien il était dangereux pour la jeune fille de rester continuellement plongée dans ses pensées tristes, le docteur s’avisa, pour changer le cours des idées de sa patiente, de lui donner quelques leçons d’anglais. Comme il parlait assez bien le français et que Berthe se prêta à ce désir avec complaisance, la tâche d’instituteur qu’il s’était volontairement imposée lui fut bien facile. Berthe, dont l’intelligence était très-vive, sut apporter tant d’attention aux enseignements du vieillard, qu’en moins de deux mois elle fut capable de comprendre assez bien cette langue étrangère pour en saisir parfaitement le sens dans la conversation.

Pendant ce temps eut lieu la bataille de Montmorency, qui, l’on s’en souvient, fut livrée le trente-un juillet. La nouvelle de notre victoire parvint, quelques jours plus tard, sur les trois vaisseaux anglais qui croisaient au-dessus de la ville.

Tout en se réjouissant de la défaite des ennemis — car Berthe était une bonne et brave Canadienne, comme on le verra bientôt — elle fut assaillie par de nouvelles alarmes au sujet de Raoul. Était-il mort, blessé, ou sain et sauf ? son imagination inquiète courait sans cesse de l’une à l’autre de ces trois hypothèses.

Hélas ! quel bien-être lui eût causé son bon ange, s’il eût voulu lui dire que non-seulement Beaulac n’avait pas pris part à la bataille, mais encore qu’il n’était qu’à une très-faible distance d’elle, épiant avec le détachement de la Roche-Beaucourt[1], les trois vaisseaux ancrés à quelques lieues au-dessus de Québec et sur l’un desquels elle se trouvait.

Le mois d’août s’écoula de la sorte, sans que la position de Berthe éprouvât le moindre changement, à l’exception toutefois qu’elle avait recouvré une grande partie de ses forces au commencement de septembre.

Cependant la situation respective des deux armées avait tellement changé depuis un mois à Beauport et à l’Ange-Gardien, que nous en devons donner une idée afin de bien faire comprendre les événements qui vont suivre.

D’abord, le gouverneur, M. de Vaudreuil, avait appris, au commencement d’août, que Niagara venait de tomber entre les mains des Anglais. Pouchot, malgré sa belle résistance, qui coûta la vie à Prideaux, le général ennemi, avait dû succomber sous le nombre et rendre le fort de Niagara à Sir William Johnson.

On apprit en même temps, à Québec, les succès du général Amherst près du lac Champlain. Bourlamaque[2] avait dû retraiter jusqu’à l’Île-aux-Noix, après avoir évacué et fait sauter les forts de Carillon et de Saint-Frédéric, et s’attendait à être attaqué d’un moment à l’autre par les douze mille hommes du général Amherst, auxquels il n’avait à opposer que deux mille trois cents combattants.

Ces désastreuses nouvelles mirent M. de Vaudreuil dans une grande perplexité. Enfin, il donna au chevalier de Lévis huit cents hommes tirés de l’armée de Beauport, et lui enjoignit de pousser une reconnaissance vers le haut de la province, afin d’aviser aux meilleurs moyens d’arrêter les progrès d’Amherst sur le lac Champlain et de Johnson sur le Saint-Laurent. M. de Lévis partit en conséquence le neuf août pour Montréal.

Outre les trois mille hommes, tous soldats d’élite, que le colonel Bougainville avait avec lui pour épier les vaisseaux anglais au-dessus de la capitale, et les huit cents que M. de Lévis avait amenés à Montréal, un grand nombre de Canadiens avaient reçu la permission d’aller faire leurs récoltes, tandis que divers autres petits corps avaient été détachés du camp français ; de sorte que vers la fin d’août, l’armée française, qui avait été forte de treize mille hommes au commencement de la campagne, ne comptait plus que six mille combattants au camp de Beauport.

Passons maintenant à l’ennemi.

On a prévu le résultat de la conférence tenue vers la fin d’août par Wolfe et ses lieutenants. Assurés désormais de la coopération de Bigot, les généraux anglais s’étaient unanimement décidés à porter le siége des opérations au-dessus de la ville.

En conséquence, dans la nuit du trente-un août au premier septembre, quatre de leurs vaisseaux passèrent encore sous le feu des canons de la ville et allèrent rejoindre les autres au-dessus de Québec. Trois jours plus tard, quatre-vingts à cent barges, chargées de troupes, défilèrent en plein midi devant la ville, après avoir rangé de près la côte du sud : tandis que trois bataillons allaient camper à l’île d’Orléans et que le reste des troupes anglaises s’embarquait sur les vaisseaux, après avoir transporté l’artillerie du Sault à la Pointe-Lévi.

Le sept, le huit et le neuf septembre, dit M. Garneau, une douzaine de leurs vaisseaux remontèrent le fleuve et jetèrent l’ancre au Cap-Rouge ; on envoya plusieurs détachements des troupes qu’ils portaient en divers endroits du rivage pour diviser l’attention des Français. La moitié des soldats fut débarquée sur la rive droite du fleuve.

Pendant la journée du douze, presque toute leur armée, qui se trouvait à Saint-Nicolas, leva le camp et se rembarqua sur les vaisseaux.[3]

Sur la fin de l’après-midi du même jour, Berthe était occupée, dans la cabine qu’on lui avait assignée, à feuilleter un volume de Shakespeare

  1. M. de la Roche-Beaucourt agissait maintenant sous les ordres du sieur de Bougainville, qui était venu le rejoindre vers le cinq août avec les grenadiers du régiment de Béarn, un piquet de celui de Languedoc et deux de milices.
  2. MM. Ferland et Dussieux écrivent Bourlamaque, et M. Garneau, Bourlarmaque. Qui a raison ? « Antiquaires, répondez ! » s’écrierait ici M. James Lemoine. »

    M. l’abbé Casgrain, que je consulte, me produit à l’instant un fac-simile de la signature de Bourlamaque, qu’il tient lui-même du Rév. P. Martin. Cette signature est conforme à l’orthographe que lui donnent MM. Dussieux et Ferland.

  3. Pour ces détails, voyez MM. Garneau et Ferland.