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Page:Marmette - Le chevalier de Mornac, 1873.djvu/59

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fauves qu’on força de sortir de leurs tanières, on ne découvrit aucun indice de la présence d’un malfaiteur.

« Le comte fut obligé, le lendemain, d’aller passer une couple de jours à Nantes pour retirer quelque argent de chez son notaire.

« Le soir du départ de son mari, la comtesse était assise dans l’enfoncement d’une fenêtre, assez profond pour former une chambre à lui seul. Du haut de la tourelle où était situé son appartement, elle dominait les arbres du parc et regardait tristement tomber la nuit sur l’océan.

« De noirs nuages voilaient l’horizon. Le vent soufflait du large et massait vers la côte de grosses vagues qui venaient se briser sur les rochers avec des plaintes attristantes.

« Peu à peu les nuées sinistres se confondant avec les ténèbres, une nuit sépulcrale s’étendit sur la mer dont la grande voix s’élevait mugissante et terrible du fond de l’obscurité.

« À l’intérieur du château régnait le plus complet silence. Assise sur un tabouret, à quelque distance de sa maîtresse, Julie, sa suivante, regardait rêveuse et comme effrayée les lueurs rougeâtres qui partaient de l’immense cheminée où flambait la moitié d’un arbre, et dansaient fantastiques et solennelles, comme les esprits des anciens preux de Kergalec, sur les hautes boiseries de chêne noircies par la poussière des siècles.

« Depuis plus d’une heure, madame de Richecourt, dominée par le funèbre aspect de cette nuit orageuse, n’avait échangé aucune parole avec sa camériste. Maintenant que la nuit lui cachait la mer, elle prêtait une oreille inquiète au bruit du vent dans les grands arbres dont les troncs noueux gémissaient sous la rafale, aux pieds du vieux donjon. Le froissement des branches dépouillées de leurs feuilles, montait jusqu’au faîte de la tourelle, sinistres comme le cliquetis des os de squelettes.

« Soudain la flamme d’un vaste éclair déchira l’horizon en illuminant d’une éblouissante lumière l’immense étendue des flots tourmentés, la sombre dentelure des falaises, le fouillis des arbres du parc et la haute tour carrée du centre du manoir qui s’ébranla sous un éclatant coup de tonnerre dont le dernier grondement s’en fut s’éteindre dans les souterrains du château.

« Les deux femmes se signèrent, tandis que la pluie s’abattait par torrents sur la toiture.

« — Voici l’orage, prions ! dit la comtesse.

« La camériste se rapprocha de sa maîtresse et toutes deux, la figure perdue dans leurs mains commencèrent à haute voix une longue prière.

« Le vent redoublait. Les girouettes rouillées criaient et tournaient affolées sur les toits qui craquaient sous l’effort de la tourmente.

« Au milieu de tous ces bruits tumultueux, la camériste crut entendre, comme le grincement d’une clef dans la serrure d’une porte depuis longtemps condamnée, dans un coin sombre de la chambre.

« Bah ! je me trompe, pensa-t-elle après un instant de réflexion. Cette porte ne s’ouvre jamais. Ce sont les girouettes qui se plaignent là-haut sur leur tige de fer.

« Éblouie par les éclairs, elle remit entre ses mains sa tête qui s’était un instant relevée pour prêter attention au bruit, et continua de répondre aux prières de sa maîtresse.

« Le vacarme de la tempête qui augmentait à chaque instant de fureur, les empêcha d’entendre un second grincement de fer. C’était celui d’une porte roulant sur ses gonds oxydés par le temps, le défaut d’usage et l’humidité.

« Si les deux femmes n’avaient pas fermé les yeux, elles auraient vu sans doute une porte dérobée s’ouvrir lentement dans la pénombre pour laisser passer un homme qui, après avoir écouté et regardé dans l’enfoncement de la fenêtre où se tenaient la comtesse et sa suivante, traversa toute la pièce à pas furtifs et s’en alla verrouiller la porte d’entrée ordinaire.

« Le bruit des verrous et de la clef frappa pourtant l’oreille des deux femmes qui se levèrent en même temps et poussèrent un cri d’effroi en voyant un homme masqué s’élancer au devant d’elles, un poignard à la main. »

— Oh ! mon Dieu ! s’écria Jeanne en saisissant éperdue, les mains de Mornac, dites-moi bien vite que ce n’était pas lui… ?

— Qui, lui… ? fit Mornac frappé de la terreur convulsive, effrayante, qui tordait tous les membres de la jeune fille.

— Mon… père… ! balbutia Jeanne tremblante, dont le regard levé au ciel sembla demander pardon à quelque absent.

— Votre père ! s’écria Mornac. Mais ma pauvre Jeanne, quel atroce soupçon !… Qui jamais a pu faire naître en vous une telle pensée ? C’est affreux !

— Ah ! ce n’était pas lui ! Ce n’était pas vrai ! éclata mademoiselle de Richecourt en se jetant à genoux. Merci, mon Dieu ! merci ! Et vous, cher bon père, pardon, mille fois pardon à votre trop crédule enfant !

— Mais en vérité, ma chère Jeanne, je ne comprends pas que personne ait été assez stupide ou méprisable pour vous laisser entrevoir les soupçons aussi atroces qu’injustes qui planèrent sur le comte de Richecourt après cette funeste nuit.

— Vilarme ! c’est Vilarme lui-même qui me dit, un jour où je refusais de l’épouser, il y a deux ans, que mon père était…

— Oh ! le monstre ! qu’il soit maudit ! cria Mornac. Écoutez plutôt la fin de cette horrible histoire.

Ici, Jeanne et le chevalier crurent entendre quelque bruit à la porte du ouigouam. Mornac alla écarter la portière de peau de loup et regarda au dehors. La nuit était sombre. Il sortit, fit le tour de la cabane et ne vit personne. Il est vrai que les ouigouams étaient si rapprochés que c’était chose facile que de se glisser et de se cacher près des cabanes avoisinantes.

Le chevalier retourna vers sa cousine et s’efforça de la rassurer.

— Je suis certaine qu’il était là et nous écoutait ! dit Jeanne.

— Tant mieux ! il saura que je le connais et que je veille sur vous !

— Mais s’il allait vous tuer !…

— Bah ! cadédis ! il a déjà essayé et n’a pu réussir. Nous avons le poignet aussi solide pour nos ennemis que pour ceux qui nous sont