Aller au contenu

Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T3.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inviolables ; et c’est alors qu’il voit d’un œil sévère ce qu’il y a de criminel et de honteux dans de mauvaises mœurs, de quelque décoration que le revête l’éloquence, et sous quelques dehors de bienséance et d’honnêteté que le déguise un industrieux écrivain.

Je blâmois donc Rousseau, mais, en le blâmant, je m’affligeois que de tristes passions, un sombre orgueil et une vaine gloire eussent gâté le fond d’un si beau naturel.

Si j’avois eu la passion de la célébrité, deux grands exemples m’en auroient guéri, celui de Voltaire et celui de Rousseau ; exemples différens, opposés sous bien des rapports, mais pareils en ce point que la même soif de louange et de renommée avoit été le tourment de leur vie.

Voltaire, que je venois de voir mourir, avoit cherché la gloire par toutes les routes ouvertes au génie, et l’avoit méritée par d’immenses travaux et par des succès éclatans ; mais sur toutes ces routes il avoit rencontré l’envie et toutes les furies dont elle est escortée. Jamais homme de lettres n’avoit essuyé tant d’outrages, sans autre crime que de grands talens et l’ardeur de les signaler. On croyoit être ses rivaux en se montrant ses ennemis ; ceux qu’en passant il fouloit aux pieds l’insultoient encore dans leur fange. Sa vie entière fut une lutte, et il y fut infatigable. Le com-