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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T3.djvu/57

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« Nous sommes trop heureux, me disoit ma femme, il nous arrivera quelque malheur. » Elle avoit bien raison ! Apprenez, mes enfans, combien, dans toutes les situations de la vie, la douleur est près de la joie.

Cette bonne et sensible mère avoit nourri le troisième de ses enfans. Il étoit beau, plein de santé ; nous croyions n’avoir plus qu’à le voir croître et s’embellir encore, quand tout à coup il est frappé d’une stupeur mortelle. Bouvart accourt ; il emploie, il épuise tous les secours de l’art, sans pouvoir le tirer de ce funeste assoupissement. L’enfant avoit les yeux ouverts ; mais Bouvart s’aperçut que la prunelle étoit dilatée ; il fit passer une lumière : les yeux et la paupière restèrent immobiles. « Ah ! me dit-il, l’organe de la vue est paralysé ; le dépôt est formé dans le cerveau ; il n’y a plus de remède. » Et, en disant ces mots, le bon vieillard pleuroit ; il ressentoit le coup qu’il portoit à l’âme d’un père.

Dans ce moment cruel, j’aurois voulu éloigner la mère ; mais, à genoux au bord du lit de son enfant, les yeux remplis de larmes, les bras étendus vers le ciel, et suffoquée de sanglots : « Laissez-moi, disoit-elle, ah ! laissez-moi du moins recevoir son dernier soupir. » Et combien ses sanglots, ses larmes, ses cris, redoublèrent lorsqu’elle le vit expirer ! Je ne vous parle point de