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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T3.djvu/58

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ma douleur ; je ne puis penser qu’à la sienne. Elle fut si profonde que de plusieurs années elle n’a pas eu la force d’en entendre nommer l’objet. Si elle en parloit elle-même, ce n’étoit qu’en termes confus : Depuis mon malheur, disoit-elle, sans pouvoir se résoudre à dire : Depuis la mort de mon enfant.

Dans la triste situation où étoient mon esprit et mon âme, de quoi pouvois-je m’occuper qui ne fût analogue à l’amour maternel et à la tendresse conjugale ? Le cœur plein de ces sentimens dont j’avois devant moi le plus touchant modèle, je conçus le dessein de l’opéra de Pénélope. Ce sujet me saisit ; plus je le méditois, plus je le trouvois susceptible des grands effets de la musique et de l’intérêt théâtral.

Je l’écrivis de verve, et dans toute l’illusion que peut causer un sujet pathétique à celui qui en peint le tableau. Mais ce fut cette illusion qui me trompa. D’abord je me persuadai que la fidélité de l’amour conjugal auroit sur la scène lyrique le même intérêt que l’ivresse et le désespoir de l’amour de Didon ; je me persuadai encore que, dans un sujet tout en situations, en tableaux, en effets de théâtre, tout s’exécuteroit comme dans ma pensée, et que les convenances, les vraisemblances, la dignité de l’action, y seroient observées comme dans les programmes que j’en avois tracés