Page:Marot - Les Œuvres, t. 5, éd. Guiffrey, 1931.djvu/26

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IV

Salut, et mieulx que ne sçauriez eslire,
Vous doint Amour : je vous supply de lire
Ce mien escript, auquel trouver pourrez
Ung nouveau cas, ainsi que vous orrez.
Mon cueur entier en voz mains detenu,
N’a pas long temps, vers moy est revenu,
Tout courroucé sans nulz plaisirs quelconques,
Et toutesfois aussi bon qu’il fut oncques :
Si me vint dire en plaincte bien dolente :
Homme loyal, ton amour violente
M’a mis es mains d’une que fort je prise,
Et qui (pour vray) ne peult estre reprise
Fors seulement d’un seul, et simple poinct,
Qui trop au vif (sans fin) me touche, et poingt,
C’est que sans cause est en oubly mettant
Moy ton las cueur, et toy qui l’aymes tant.
N’est ce point là trop ingrate oubliance ?
Certes j’avoys d’elle ceste fiance
Que l’on verroit Ciel, et Terre finir
Plustost qu’en moy son ferme souvenir.
Or ne se peult la chose plus nyer,
Regarde moy, je semble ung Prisonnier
Qui est sorty d’une Prison obscure,
Ou l’on n’a eu de luy ne soing, ne cure.
Eschappé suis d’elle secrettement,
Et suis venu vers toy apertment
Te supplier que mieulx elle me traicte,
Ou que vers toy je fasse ma retraicte.
Je suis ton cueur, qu’elle tient en esmoy,
Je suis ton cueur, ayes pitié de moy :
Et si pitié n’as de mon dueil extrême,
A tout le moins prens pitié de toymesme,